Interview du Dr FROMENTIN : Le rôle du Gériatre dans la prise en charge du sujet âgé

Actualité créée le jeudi 16 mars 2023
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"La gériatrie évolue toujours puisque c’est le soin, elle se fera étayée par la gérontologie. Il y aura aussi les mentalités des gens, le ressenti et toute une culturation du vieillissement qui va devoir se créer, pour ne plus ressentir ça comme un échec, une fatalité, une déchéance mais comme une période où on doit rester le plus actif de sa vie physiquement du moins."

Dans le cadre de la semaine nationale du cerveau, Lucie Abbon cheffe de projet du DAC 94 Est a rencontré le DR Fromentin, gériatre à l’hôpital Emile Roux et spécialiste du vieillissement afin de comprendre son rôle dans la prise en charge du sujet âgé. 

 

DAC 94 EST : « Quelle différence entre gériatrie et gérontologie ?

Isabelle Fromentin : La Gérontologie est la science liée au vieillissement, donc tout ce qui concerne le vieillissement : et les mécanismes du vieillissement : la biologie, la sociologie, la psychologie. Ces mécanismes agissent dès la naissance ; avec, par exemple, la notion d’apoptose (Processus physiologique de mort cellulaire programmée).

La gériatrie concerne tous les soins en lien avec le vieillissement. Elle s’adresse donc directement aux personnes âgées à partir de soixante-cinq ans. (Âge officiel pour l’OMS[1].)

 

DAC 94 EST : Qu’est-ce qu’un hôpital de jour diagnostic ?

I.F. : Comme son nom l’indique, l’hôpital de jour gériatrique est un hôpital proposant des soins sur une journée. L’hôpital de jour diagnostic réalise un diagnostic (pathologie, fragilité gériatrique en particulier), propose un projet de soins gériatriques en lien avec cette pathologie ou avec différents niveaux de prévention (primaire, secondaire ou tertiaire.)

 

DAC 94 EST : Quand et pourquoi faut-il effectuer un bilan gériatrique ? Toutes les personnes âgées sont-elles concernées ?

I.F. : Bien évidemment pour nous, le bilan est à l’origine de toutes les prises en charges gériatriques : que ce soit au niveau de la prévention primaire avec la recherche de facteurs de risques de fragilité jusqu’au diagnostic gériatrique alors que dépendance est installée permettant une orientation adaptée, un projet de soins à domicile…

Ce qu’il faut bien comprendre c’est que le bilan gériatrique ne s’adresse pas spécifiquement aux troubles cognitifs et que le gériatre n’est pas forcément le médecin de la fin de vie et des troubles du comportement. Il a une connaissance de la complexité liée à l’âge de son patient lui permettant de hiérarchiser et de proposer un projet de soin adapté. On se bat un peu pour ça.

Toutes les personnes affrontant l’avancée en âge sont concernées ; nous commençons à partir de cinquante ans avec la consultation « vieillir avec succès ».

Avant de commencer ce bilan, le plus difficile est de savoir la question posée ; on ne peut pas réaliser un bilan « complet » pour une personne âgée. Il est nécessaire de comprendre pourquoi cette personne vient? Sur quoi je dois faire un bilan ? (Bien vieillir ? troubles de la marche ? de la mémoire ? perte de poids ? etc..)

Nous sommes parfois amenés à voir des personnes dépendantes, comment orienter le bilan ? Est-ce qu’on doit préparer une intervention ? Doit-on faire un diagnostic ? organiser un projet de soins ? Ce questionnement est parfois le plus long dans la prise en charge car les patients nous sont souvent adressés trop tard. Ils ne sont pas toujours interrogeables. C’est très long et très compliqué et il n’y a plus, hélas, de place pour le maintien à domicile.

 

DAC 94 EST: Comment reconnaître les premiers signes de troubles cognitifs ?

I.F. : La personne ou son entourage sent un changement. Tout signe ressenti doit être pris en compte.

Ce qu’il faut savoir c’est que les troubles cognitifs ne sont pas forcément des troubles de la mémoire. On met toujours les troubles mnésiques au premier plan or, parfois, ce sont les troubles dysexécutifs, c’est-à-dire des troubles de l’organisation qui peuvent être au premier plan du tableau.  Tout signe mérite d’être pris en compte et de réaliser un bilan.

Donc toute anomalie est une alerte.

 

DAC 94 EST : Quels sont les facteurs de risque pour la santé cognitive ? 

I.F. : Toutes les pathologies cardio-vasculaires, l’âge, les toxiques (tabac, alcool, drogue), le manque d’activité physique, la non utilisation de ses fonctions cognitives (par exemple rester assis toute la journée devant la télévision !).

 

DAC 94 EST : Qu’est-ce qu’un facteur de protection ? quels sont les facteurs de protection pour la santé cognitive ?

I.F. : Un facteur de protection est un mécanisme qui permet de maintenir l’équilibre entre le gain et la perte et qui existe à tous les niveaux de l’organisme ; Nous perdons des cellules mais d’autres se régénèrent au même rythme et nous restons protégés quand cet équilibre perdure. L’objectif est de maintenir cet équilibre et de savoir quand il y a une fragilité afin de compenser afin de retrouver l’équilibre.

Pour la santé cognitive, le plus reconnu, à l’heure actuelle, est l’activité physique modérée voir intensive. Une étude montre qu’il y a une similitude dans les facteurs de croissance, stimulant les muscles et les neurones.

À partir du moment où vous avez des douleurs musculaires liées à l’effort physique, vous vous faites du bien à la cervelle ! 

 

DAC 94 EST : Quelle est la différence entre une consultation « vieillir avec succès » et une évaluation gériatrique ?

I.F. : Vieillir avec succès » est une prévention primaire chez un patient en bonne santé, on recherche des éléments prémonitoires d’un mauvais vieillissement et on essaie de les prévenir. Nous regardant les principaux facteurs de fragilité avec des outils (échelles) adaptés

C’est très souvent un manque d’activité physique et puis des petites choses toutes bêtes, un manque de vitamine D, jusqu’à une ostéoporose débutante, une petite fuite d’urines en toussant, une baisse de l’audition ou encore le manque d’interaction sociale. Ces éléments n’ont, donc, pas tellement de conséquence sur le moment mais peuvent en avoir à distance et ça vaut toujours le coup de faire le point pour voir l’évolution des choses. Il faut être motivé. En fait c’est un travail que l’on fait à deux, le médecin et le patient.

L’évaluation gériatrique concerne une personne qui a une ou plusieurs pathologies, Il y a une question la concernant (classiquement polypathologie, chutes, trouble cognitif, acte chirurgical à venir… etc) autour de laquelle nous faisons systématiquement le tour des autres fragilités pouvant déstabiliser notre patient. Elle veille à proposer un projet de soins.

Ce sont donc des outils équivalents mais l’évaluation n’a pas le même objectif. 

 

DAC 94 EST: En quoi consiste la consultation « aide aux aidants » ?

I.F. :  Dans cette évaluation, nous concilions l’évaluation de la personne et, par un entretien avec une psychologue spécialisée dans l’aide aux aidants le projet de cette personne vis-à-vis de l’aidé. La psychologue va essayer de construire un projet en hiérarchisant les objectifs de l’aidant.

 Tout au début les aidants ne comprenaient pas pourquoi ils avaient un examen médical. Ils voulaient seulement voir la psychologue. Or il existait déjà des infrastructures pour cela et nous souhaitions qu’ils prennent conscience de leurs éventuelles fragilités pour « tenir bon ». A ce jour, les gens apprécient qu’on s’occupe un peu d’eux et comprennent l’intérêt de cette démarche : pouvoir bien aider, aider longtemps et supporter le jour où ils ne pourront plus aider. 

 

DAC 94 EST: Suite au bilan gériatrique, des recommandations sont-elles préconisées ?

I.F. : A la suite de cette évaluation de fragilité, nous montrons au patient ses points forts, les différents facteurs de fragilité que nous avons observés. Nous faisons le point avec le patient et son médecin traitant, et proposons éventuellement un parcours de soins en hôpital de jour thérapeutique afin de lancer le programme de travail. Nos principaux objectifs sont d’éviter les décompensations cardiaques, les chutes, la perte musculaire ou gagner en force musculaire et éviter la sarcopénie[2]. Depuis que nous travaillons ces parcours ces parcours plus spécifiques, nous observons des résultats objectifs.

À la suite de l’évaluation gériatrique nous proposons soit un projet de soins, soit un parcours thérapeutique soit un suivi.

Je ne suis pas très favorable aux suivis systématiques car je préfère construire un bon projet de soins avec les Dispositifs d’Appui à la Coordination, pouvoir bien orienter quitte à réévaluer ensuite. Nous ne sommes pas assez de médecins pour réaliser des réévaluations répétées.  

 

DAC 94 EST : Le projet de soins comprend-il « la mise en place des aides et des soins au domicile » ?

I.F. : La notion de « situationnel » est un facteur de fragilité, elle s’intéresse au mode de vie avec l’étage sans ascenseur par exemple. C’est quelque chose d’essentiel comme la réaction de la personne à l’aide qu’on lui propose. Il y a une dame que je vais hésiter à reprendre car, même après un « parcours de soins », elle a refusé toute aide à la maison. C ’est difficile, d’imaginer une stabilisation de fond.

Si le maintien à domicile ne fonctionne pas sans aide, on essaie de trouver un autre projet de soins pour gérer une personne en perte d’autonomie par exemple, on va étayer. Si la solitude est au premier plan le lieu de vie est à discuter. Nous voulons nous positionner comme une « plateforme de lancement » pour bien vieillir;

Nous préparons différentes hypothèses et essayions de trouver les infrastructures pour aider le patient en parallèle. 

 

DAC 94 EST : Comment faire pour bénéficier d’un bilan gériatrique ?

I.F. : Pour prendre rendez-vous, il faut contacter notre secrétariat et demander un courrier de votre médecin traitant. Des échelles existent pour savoir quand adresser une personne âgée pour un bilan gériatrique ‘SEGA, GERONTOPOLE ). 

 

Pour conclure, la gériatrie évolue toujours puisque c’est le soin, elle se fera étayée par la gérontologie. Il y aura aussi les mentalités des gens, le ressenti et toute une culturation du vieillissement qui va devoir se créer, pour ne plus ressentir ça comme un échec, une fatalité, une déchéance mais comme une période où on doit rester le plus actif de sa vie physiquement du moins. »

Fiche HAS : Comment repérer la fragilité en soins ambulatoires?

 

[1] Organisation Mondiale de la Santé

[2] La sarcopénie se définit comme une baisse progressive et généralisée de la masse musculaire (MM), de la force et de la performance physique pour des patients en âge gériatrique